Je viens de me rasseoir à côté de Jérémy après être allée jeter un œil aux écrans géants derrière nous. Très loin, à l'horizon, un tout petit trait blanc, éclairé, sur lequel sont fixés tous les regards. Silence. Toujours du silence. Tiens, elle est longue cette minute. Des chuchotements se font entendre ici et là, puis un léger ronronnement de voix humaines parcoure l'assemblée. Je retourne voir mes écrans. Ils n'affichent plus la fière fusée Ariane et son lanceur, mais la maquette et le musée de l'espace. Le compteur est retourné à 7 minutes, il est bloqué. La seule information qu'on a est qu'"un ROUGE s'est produit" - de quelle nature, on ne sait pas, mais ça a bloqué le décollage de la fusée.
C'est fâcheux, ça. Impossible de savoir si on assistera ou pas à ce lancement, au final.
On prend tous notre mal en patience, le stand de sandwich se fait dévaliser en contre-partie. Jérémy et moi piétinons devant l'écran. Autant on avait eu du mal à trouver la motivation pour rouler jusqu'à Kourou, attendre une heure et demie l'arrivée du bus qui nous a emmené au site d'observation, autant maintenant qu'on y est, zut, on a pas du tout envie qu'il soit annulé ce lancement. Je pense avec envie à ceux qui sont dans la salle Jupiter et qui doivent observer les allées et venues des ingénieurs qui s'arrachent les cheveux. Ici, la jungle est tellement calme dans la nuit qui est tombée.
Au bout de 35 minutes, c'est bientôt la fermeture de la fenêtre de tir, il faut bien se rendre à l'évidence ; la fusée ne décollera pas aujourd'hui. Vu qu'on a décidé de profiter d'être à Kourou pour manger des sushis (très typique, n'est-il pas), on va s'installer pour faire la queue et redescendre de ce satané site d'observation parmi les premiers.
Alors qu'on se rend compte qu'on vient de créer un mouvement de foule, une voix retentit dans les haut-parleurs "Reprise du compte à rebours à 19h35". Dans quelques minutes la fusée va décoller. Chacun regagne sa place, on décide d'aller se mettre contre un mur, derrière toutes les rangées, là où l'on ne dérangera personne. 3 minutes au compte à rebours, un mec parmi les rangées assises décide de se lever et de monter sur le banc sur lequel il était assis. 15 secondes plus tard celui derrière lui décide de faire de même. Bientôt toute la foule est debout sur les bancs et depuis notre position on ne voit plus l'horizon mais une forêt de fessiers. Maintenant tout le monde voit aussi bien que lorsque tout le monde était assis, sauf les gueux comme nous qui sont debout contre le mur, derrière eux. Soupir.
Enfin, entre deux paires de fesses, la fusée s'éclaire. Une lumière assez faible d'ailleurs, mais bientôt on doit plisser les yeux pour continuer à l'observer. La fusée décolle, les écrans retransmettent un bruit assourdissant, et le ciel bleuté et nuageux de la nuit guyanaise devient orange vif. Bientôt le bruit nous atteint, plus rauque que tout ce que j'ai entendu dans ma vie, le genre de bruit qui nous aurait glacé l'échine si l'on n'avait pas su ce à quoi on assistait. La fusée passe au-dessus de nous, de plus en plus petite. En la suivant du regard je me rends compte que le forêt de fesses s'est transformée en une forêt de fusées miniatures, chacune sur l'écran d'un smartphone. La fusée poursuit sa course folle, elle devient un tout petit point parmi les étoiles, tout en continuant de filer vers l'Est. Au bout de quelques minutes, les écrans indiquent qu'elle a traversé l'Atlantique, cet océan dont on est venu à bout en 3 semaines. Il est alors temps de redescendre sur Kourou et d'aller enfin manger le dîner.
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