mercredi 30 janvier 2019

La fin du voyage

Jeudi 21 février. Un matin ensoleillé dans la baie du Marin. Café dans le cockpit du bateau de Yonathan et Jess, que nous gardons un mois pendant qu’ils rendent visite à leur famille. Badgi, le chat, avachi sur le dos, ronronne à pleine turbine. J’ai le cœur léger. Lilla sera vendue samedi ; mais j’ai fait mon deuil.

« Elope with me Miss Private and we'll sail around the world
I will be your Ferdinand and you my wayward girl
»

Mon ordinateur me joue des chansons de mon adolescence. Sail around the world n’avait aucune réalité à l’époque. Des jolis mots pour orner les chansons. Jamais je n’aurais deviné que 10 ans plus tard on aurait traversé l’Atlantique.

A 18 ans, quand on me demandait quand je comptais revenir, quand je comptais reprendre mes études, je répondais laconiquement « quand j’aurai trouvé ce que je veux faire ». Sans certitude que ce soit un jour le cas.

Plus les années passaient plus la perspective d’un retour à l’université s’amenuisait, en même temps que se précisait cette réalisation que pouvoir avoir accès aux études est un privilège.

Ca fait plus d’un an que ce projet de reprendre des études dans le domaine de la santé grandit dans ma tête - dans un coin seulement, parce que la vie avec Lilla rendait cette possibilité inenvisageable.

Et puis un jour Lilla nous a montré des signes d’usure. De ces signes d’usure qui veulent dire : immobilisation pendant de nombreuses semaines, voir de nombreux mois, et des milliers d’euros de réparation. J’ai pleuré comme une gamine gâtée devant son rêve brisé. Pas d’Amérique du Nord pour cette année.

On aurait pu passer la saison des cyclones à réparer Lilla et à bosser, mais ç’aurait été ignorer que Lilla est trop petite pour nous, que Jérémy souffre du dos depuis quelques mois. La solution a été vite trouvée. Un acheteur encore plus rapidement. En moins de temps qu’il n’en a fallu pour le dire, on était en train d’organiser le retour à terre, prêt à se prendre un appartement à Fort-de-France.

Désenchantement à nouveau devant la liste d’exigences des propriétaires. Un appartement + une voiture + une reprise d’études sur place, on en avait tout simplement pas les moyens. Pour la moitié du coût, on pouvait s’installer en Métropole. Le calcul a été douloureux, mais vite fait.


Parcoursup, rendez-vous au CIO, lettre de motivation, dossiers à remplir ont remplacé le nettoyage de cales et le graissage de winchs dans notre quotidien. Les billets sont pris pour fin mars, et mes dossiers sont prêts à partir, ornés d’un avis très favorable de la psychologue du CIO.

L’excitation a remplacé la déprime. C’est la première fois que j’envisage le retour en France comme autre chose que simplement une étape pour repartir. On se renseigne sur les différentes villes, on fait des projets, bizarrement on se sent incroyablement libres.

La filière que je veux suivre est incroyablement sélective, on en est conscients. On est prêts à refaire travailler cet esprit d’équipe qui nous a fait avaler plusieurs milliers de miles. Sans cette équipe qu’on forme à deux, je suis tout à fait consciente que mes chances seraient bien moindres.

Et après les études, repartir? La question est posée - mais la réponse n’est pas là pour le moment. Ca fait des mois que j’ai un dilemme moral quant au fait de voyager, que j’ai de plus en plus de mal à me sentir légitime là-dedans. Pour l’instant. Et faire partir d’une communauté et s’y sentir utile est très attrayant - qui sait quel sera notre état d’esprit dans 5 ou 6 ans, qui sait si on arrivera pas à lier les deux.

Notre nouvelle aventure promet d’être bien moins glamour, mais qu’on ne s’y trompe pas : ça ne nous rend pas moins enthousiastes pour autant. 


En train de préparer notre nouvelle aventure sous la supervision de Maître Badgi

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