jeudi 25 octobre 2018
Les îles du Salut
On surplombe une baie où l’eau bleue criarde semble sortir d’un cliché kodachrome des années 70. Autour de nous, des palmiers vert vif tirant au jaune. Au centre de cet écrin, Lilla est bercée doucement par l’alizé, et son arrière pointu plonge et replonge dans les petites vagues qui arrivent à se faufiler dans cette baie abritée.
« Pourquoi n’ai-je pas pris mon appareil? » Je suis un peu fâchée contre moi-même. Mais bon, on était juste censé aller à terre nous désencombrer de notre poubelle avant notre traversée vers la Barbade. Et puis finalement, l’ombre des palmiers et la douce ambiance de l’île Royale nous ont donné envie d’aller trotter. C’est là qu’on a découvert cette splendide vue sur la baie des cocotiers, où est mouillée Lilla.
Cette deuxième ballade, pour notre deuxième jour aux Iles du Salut, me réconcilie un peu avec l’endroit. Je m’habitue un peu plus à ce curieux mélange entre un lieu de mémoire et un lieu de villégiature pour les plus aisés des habitants de Guyane, même si la transformation des cellules des bagnards en carbet où poser son hamac pour la nuit (et pour 12e!) me met toujours mal à l’aise. Aucun panneau sur les conditions de vie, sur les prisonniers concernés par la déportation, rien. Il faut dire qu’à une demi-heure de navigation de Kourou, l’endroit est assez paradisiaque et en contraste complet avec les eaux boueuses du continent. Alors le trait est tiré sur le passé moins glorieux de ces trois îles pour laisser place au farniente.
Comme à Saül, on rencontre le gendarme déployé sur l’Ile. Une fusée décolle le lendemain, et il a pour charge de faire évacuer les Îles. Selon ce qu’on avait entendu sur le continent, en cas d’accident, la Fusée pourrait retomber sur l’ancien bagne. Pour avoir vu la puissance de l’objet, j’imagine qu’il ne resterait plus grand chose de l’archipel. Il est le dernier à rester sur l’île Royale, et doit sûrement être partagé entre l’appréhension d’un crash et l’émerveillement d’être aux premières loges pour un spectacle si hors du commun.
Trop occupés par divers travaux sur le bateau, dont le grattage de la coque qui est recouverte de petites berniques, souvenir de Degrad, nous ne visiterons que l’île Royale, la plus touristique. La saint-Joseph est accessible également, bien que plus difficilement par un débarcadère glissant et peu adapté à notre fragile annexe. Elle a l’air plus à l’abandon, plus préservée aussi paradoxalement. Il parait qu’elle abrite un étang dans lequel s’est installé un caïman, et que la jungle a repris ses droits, repoussant entre les pierres et les ruines des différents bâtiments du bagne. Enfin, la plus célèbre, l’île du Diable, n’est ni facilement accessible, ni autorisée à la visite. Son débarcadère est clairement en ruine - nous le verrons depuis la côte Nord depuis la Royale et on dirait qu’une forêt de palmiers a pris possession de l’endroit. Est-ce justement parce que c’est la plus célèbre qu’elle n’est pas accessible? Est-ce pour la préserver? Est-ce pour éviter de devoir faire un mea culpa d’y avoir envoyé un grand nombre de prisonniers politiques? Toutes ces questions nous viennent en l’observant de l’autre côté de la passe. Il faudrait qu’on fasse des recherches là-dessus j’imagine.
L’image des Antilles se grave de plus en plus dans nos paroles. On aime cette vie à se jeter cinq fois par jour à l’eau depuis son bateau, même si, ici, la faible visibilité et les rumeurs de requins nous empêchent un peu de barboter l’esprit léger. Aux Antilles on verra sur des dizaines de mètres! On a tellement hâte d’y être, la Barbade n’est qu’à 600 miles… même s’il me faut avouer que mon coeur est fébrile à l’idée de reprendre la mer. C’est ridicule, c’est 3 à 4 fois moins que notre traversée de l’Atlantique., pourtant je ne me souviens que trop amèrement de la fatigue que celle-ci avait jetée sur mon moral, et la motivation est dure à trouver. Pourtant il le faut, il faut se remettre en selle ; un bateau est fait pour naviguer et il n’est pas question de le laisser s’abimer plus longtemps en Guyane. C’est parti!
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