Attention, donc. Et comment. Une grosse vague roulante vient de nous prendre de travers. Le bateau part à 90 degrés et des paquets d’eau de mer rentrent dans le cockpit. Tout est trempé. Mais Jérémy va bien. Et moi je ne regrette pas d’être une psycho-rigide de la règle du harnais obligatoire à bord. Il n’est pas tombé et le fait d’être accroché n’a pas été utile, mais tout de même.
Le régulateur d’allure montre de sérieux signes de faiblesse depuis quelques heures, et cette expérience de prise de vague de travers nous a refroidi quant à son utilisation, alors on finit à la barre. Enfin, Jérémy est à la barre la majorité du temps, et moi je suis à l’intérieur, je repère les différents phares et je vérifie systématiquement notre position. Quand il a besoin de faire pipi ou de fermer les yeux, je prends le relai. Je n’arrive pas à savoir si je fais bien de nous envoyer droit vers la côte sous ce vent plus fort que prévu, ou si l’on devrait continuer encore 50 miles vers la Corogne. C’est vrai que l’entrée de la Ria a l’air large et protégée, mais si je me trompais? Finalement c’est la mine éteinte de Jérémy qui tranche ; il faut qu’on arrête ça. Sans régulateur et vu notre niveau de fatigue, il est plus sage de s’arrêter maintenant.
Pourtant notre traversée avait bien commencé. On est partis d’Audierne dans la pétole, on a vu le rayon vert et puis des dauphins nous ont suivi pendant toute la première nuit. ensuite le vent s’est levé, de l’ouest puis du Nord et on a trotté joyeusement à 6/7 noeuds avec un ris dans le génois. Et puis petit à petit une méchante fatigue s’est faite sentir ; clairement, 4h de quart de nuit comme de jour, ça ne fonctionne pas pour nous deux. Au bout de 36h j’ai commencé à trouver le temps long, dans l’inconfort de notre bateau miniature avec sa cambuse branlante et notre 1 m2 vivable à l’intérieur. Cette dernière nuit, je pense même à arrêter tout. Prendre un chien, une maison au sec et reposer mes vieux os avec Jérémy. En fait, ça n’a rien d’étonnant. A chaque fois, on râle sur nos conditions de vie et de navigation avec Jérémy, jusqu’à ce qu’on se retrouve au port ou au mouillage. Et là, quel bonheur, cette vie-là! Tous les deux, on appelle ça l’effet poisson rouge, et ça ne manque jamais quand les conditions durcissent. J’ai appris à accepter ça comme faisant parti du jeu.
Et cette nuit-là, ça ne manque pas. Je répète sans cesse à Jérémy « Quand tu auras mis le phare dans ton 90, la houle se calmera » . Mais zut, ça ne se calme pas! Ou alors? « J’ai rêvé ou c’est plus calme? » Non je ne rêve pas! La houle est toujours là mais de moins en moins méchante, et tout à coup on est dans la ria, la mer est devenue un lac et le vent est tombé. La pleine lune se reflète calmement sur un eau qui n’est plus du tout hostile, désormais. On jubile. On devine à peine la côte, mais ça a l’air magnifique. Les collines roulent gentiment vers la mer, ça me rappelle la Nouvelle-Zélande.
On remonte une rivière jusqu’à la marina, et on se glisse dans la première place que l’on trouve, et tant pis si on a l’air ridicule sur ce ponton des bateaux de plus de 16m, on bougera quand on aura dormi.
Le bateau est tout humide à l’intérieur, et très vite on doit tout re-nettoyer, tout brosser, tout laver. Le linge sèche sur le pont, et Lilla a l’air toute rigolote dans sa tenue de nettoyage de printemps. On discute sur les pontons. Le plus dur est derrière nous, on nous assure. Alors ça me va. Je veux bien des conditions comme cette nuit-là, mais pas plus. J’ai un équipier à garder, et entier. Le soleil brille, nos frayeurs de la nuit sont oubliées et notre voyage commence enfin ; Viveiro est une ville très jolie et on peut enfin se reposer, sans stresser de laisser passer la saison du terrible golfe de Gascogne.
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