mercredi 18 juillet 2018
Survivre à la saison des pluies
J'étais sur le pont, en robe, la pluie me fouettait sauvagement tous le corps, malgré l’abri de fortune que j’avais trouvé au pied du mât. Je le partageais avec quelques abeilles qui s’étaient fait surprendre par ce gros grin qui nous tomba dessus alors que nous remontions la rivière Mahury vers le mouillage défini pour les navires de plaisance. Après le soleil de plomb qui nous avait accueilli plus au large, le rafraichissement n’était pas si mal venu que ça et je me suis bénie d’avoir pensé, quelques jours plus tôt, à calfeutrer d’un scotch tissé nos hublots encore réfractaires au concept d’étanchéité.
C’était le 13 mai dernier et depuis on attend qu’une chose : que cette foutue saison des pluies daigne rendre l’âme. « C’est la saison des pluies, la fin des amours » chantait Gainsbourg - et ça a bien failli être la fin de mon amour pour Lilla. Car la saison des pluies, c’est usant. On a vu des journées entières où un rideau de pluie refusait de se lever, de l’aube au crépuscule. Les seaux sur le pont se remplissaient en quelques heures et certains jours Jérémy a du sauter dans l’annexe nu comme un ver pour l’écoper avant qu’elle ne sombre.
Tous les matins, Jérémy se lève à 5h30 pour aller travailler et j’ai jusqu’à 6h20 pour décider si je l’accompagne à terre ou pas. En gros, ça dépend de la météo. S’il fait beau, il faut que j’en profite pour aérer le bateau, mettre les matelas et les oreillers au soleil et frotter les moisissures qui se sont développées sur les parois. S’il pleut, mieux vaut filer à la bibliothèque universitaire que de rester enfermée à bord à déprimer.
Les jours où je reste à bord, il faut d’abord que j’attende que le soleil soit assez haut dans le ciel pour que le pont soit bien sec avant d’y installer tout ce qui, à bord, aurait bien besoin d’une petit désinfection au soleil. Ensuite je vide un coffre ou une cale de son contenu, tout en tendant l’oreille pour une éventuelle rafale de vent annonciatrice d’un grin, et je le nettoie de fond en comble - le plus souvent à la Javel. Avec la moisissure qui revient en gros en une semaine, je suis obligée de faire dans le corrosif si je ne veux pas qu’on se ruine la santé. Et s’il se met à pleuvoir entre temps, je rentre tout en quatrième vitesse et cohabite avec un enchevêtrement de matelas, de bassines, de contenu de coffres et d’oreillers. Et il y a toujours des mauvaises surprises : ce sachet de verveine que je n’avais pas pensé à vérifier et qui a muté en un sac de petits champignons jaunes, cette planche de contreplaqué que j’ai fait l’erreur de ne pas vernir et qui est désormais affublé d’un duvet gris-vert, ces moucherons qui ont élu domicile dans l’eau stagnante du cockpit… La Guyane est exigeante et me donne constamment l’impression de ne pas être à la hauteur, de n’avoir pas su voir venir cette moisissure improbable ou bien cette infiltration d’eau - je n’ai jamais vu ça, j’ai l’impression de me battre contre l’hydre de Lerne, mais version moisi. Et quand je rentre après une journée à la BU, une odeur de sous-bois m’accueille dans le bateau et m’informe que le monstre n’est toujours pas terrassé.
Alors certains jours, quand plusieurs jours de pluie nous condamnent à dormir dans des draps humides, je commence à me demander comment je peux nous imposer cette vie. Cette vie à larbiner pour un bateau ingrat, à s’éreinter à des taches quotidiennes rendues ubuesques par le manque de place et de commodités, à dépenser des montagnes d’euros pour quelques miles de plus, à user notre jeunesse au fonds des cales et des coffres du bateau.
Et puis le soleil revient, Jérémy rentre du travaille, et j’installe sur le pont une petite cabane fait de nos draps qui aèrent où l’on peut lire sans rôtir au soleil, au son du clapotis de l’eau, et les malheurs sont oubliés pour un temps, dans cet avant-goût de saison sèche dont on ignore si elle arrivera bel et bien un jour.
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