samedi 21 octobre 2017

Des jours à ne plus savoir qu'en faire


 (Photos de quand on pouvait encore naviguer en baie de la Corogne...)

Cela fait 6 jours qu'on est à la Corogne. Une petite routine qui se met en place. Traîner au lit le matin, se lever, avaler un petit-déjeuner, jouer un peu de guitare, lire, préparer le déjeuner, manger, s'occuper de petits projets sur le bateau, se balader en ville, rentrer, manger, lire, dormir. Recommencer. Après deux ans non-stop de travail d'arrache-pied, je ne pensais pas qu'un retour au calme serait si difficile à accepter. Peut-être parce qu'il m'est imposé par la météo que je regarde tous les matins et qui ne m'annonce que du sud, du sud, du sud, de la houle, du gros temps.
Le premier jour, c’était plaisant. On a exploré la ville, acheter des tas de boite de rangement pour le bateau, sympathisé avec notre voisin de ponton, un avenant Suédois. J'ai retrouvé la lecture que j'avais délaissé pendant toute la durée du chantier, Jérémy a sorti sa vieille flute traversière et en avant les gammes. Le jour suivant, le vent soufflait méchamment au passage d'Ophélia et j'ai avalé le Tamata de Moitessier en quelques heures. Puis Jérémy a changé notre ampoule de mat, qui refusait toujours de fonctionner. Echec ; la nouvelle ampoule nous dit merde aussi. J'ai voulu faire le niveau de liquide de refroidissement du moteur, échec aussi : impossible de retrouver ce maudit bidon. Zut, quand ça veut pas, ça veut pas. Avec ça notre voisin est venu nous annoncer qu'il partait le lendemain. Quoi? Et la suite de dépression toutes creusées et hargneuses, prêtes à manger nos pauvres petits bateaux tous crus? J'ai re-regardé la météo ; en effet, on annonce 25 nœuds plutôt que 40... mais je me suis souvenu des mots de nos voisins de ponton à VIveiro ("Ici, il y a toujours 10 noeuds de plus que ce qui est prévu") ; alors tant pis, la témérité n'est pas notre fort ; on est restés.
Le jour suivant, 3 bateaux quittaient le port vers les remous du Cap Finistère et nous on trouvait notre liquide de refroidissement. J'ai attaqué l'Assommoir de Zola en attendant que la pluie de passe. Passionnant, mais vraiment pas joyeux.
Dans la foulée, on a enfin réussi à faire fonctionner notre ampoule de mat mais mon moral ne s'est pas amélioré. Cette impression de piétiner, je ne sais pas, une sorte d'angoisse qu'un projet primordial aie échappé à ma vigilance et qu'on soit en train de se tourner les pouces alors que le bateau a besoin de nos soins. Est-ce une séquelle de deux ans de chantier? Est-ce que Zola m'a rendue morose? Est-ce que la grande ville m'épuise? Probablement un peu de tout ; alors on part. Demain. Un peu de pétole, et puis un peu de vent de Nord si on a de la chance, et puis à nous les mouillages des Ria Bajas, et peut-être enfin la rencontre avec ces alizés qui sont censés nous conduire de par le monde...

 Jérémy maître des épissures




lundi 16 octobre 2017

En attendant que ne passe Ophélia

L’anticyclone qui nous a accueillis à Viveiro avec des vents d’Est (un peu trop forts pour nous) n’a pas duré très longtemps, et très vite les dépressions s’enchainent, entraînant vents contraires et houle dangereuse. Vivement le Sud, on a marre de se faire bastonner!
On file donc vers la Corogne, pour ne pas se faire coincer à Viveiro lorsque le mauvais temps arrivera. Au final, nous voici coincés à la Corogne avec une météo à 10 jours qui n’annonce que des mauvaises nouvelles.
On fait donc contre mauvaise fortune bon coeur ; il y a plein de petits projets à bord qu’on repousse faute de temps depuis le départ, ça va être l’occasion.
Il y a d’abord l’ampoule de tête de mât qui a décidé de mourir le jour de notre départ de Saint-Cast et que nous avons remplacé à Audierne, heureux de trouver la dernière ampoule LED au bon cul dans la petite boutique du port, avant de se rendre compte en plein Gascogne que nous avions acheté une ampoule verte et non blanche. Comme ça, ça n’a l’air de rien, mais avec cette ampoule, on dit à tous les bateaux qu'ils arrivent sur notre tribord, même s’ils arrivent par l’arrière ou sur bâbord. Quelque peu dangereux.
C’est l’occasion pour Jeremy de refaire un tour en tête de mat et de prendre quelques jolies photos.



Ensuite, il y a une petite fuite au niveau des passe-coques de la cuisine qui n'est pas très importante mais qui nous empêche de naviguer l'esprit serein. On file vers la marina de Sada, à trois heures de navigation de la Corogne, où l’on nous trouve tout de suite un créneau pour le travelift. On a pas de bers, mais apparemment, ce n’est pas un problème ici : la plupart des bateaux sont calés sur des morceaux de troncs d’arbres. Pas très rassurant, mais bon, ça tient plutôt bien. En 24h on a tout réparé et on est remis à l’eau. Une fois dans la darse, pour remercier le grutier qui a été très sympa avec nous, on lui propose d'embarquer les deux dernières bières du bord. A peine les aperçoit-il qu'il saute de la cabine de son travelift, se suspend au-dessus de la darse et attrape le présent, qu'il ouvrira sur place et se boira en finissant la manoeuvre. Sacré personnage.



Quand Jeremy décide qu'à défaut d'échelle, il va me wincher à bord

 Le passe-coque fautif 


Enfin, le samedi est le dernier jour de calme avant le sale temps amené par l'ouragan Ophélia, l'occasion de faire une jolie navigation et de passer notre première nuit au mouillage ; sensation de liberté et de voyage qui commence enfin... on est sur un nuage.

 

mercredi 11 octobre 2017

Enfin l'Espagne!

« Oh-oh! Attention! » C’est Jérémy qui vient de crier depuis le cockpit. Il est une heure du matin, on approche des côtes espagnoles et Lilla trotte à 6 noeuds sous grande voile seule. Oui, sous grande voile seule, notre fatigue aura eu pour effet de nous laisser nous faire prendre comme des idiots sur-toilés dans une vilaine houle et un vent forcissant, alors on s’est contentés de rentrer le génois.

Attention, donc. Et comment. Une grosse vague roulante vient de nous prendre de travers. Le bateau part à 90 degrés et des paquets d’eau de mer rentrent dans le cockpit. Tout est trempé. Mais Jérémy va bien. Et moi je ne regrette pas d’être une psycho-rigide de la règle du harnais obligatoire à bord. Il n’est pas tombé et le fait d’être accroché n’a pas été utile, mais tout de même. 


Le régulateur d’allure montre de sérieux signes de faiblesse depuis quelques heures, et cette expérience de prise de vague de travers nous a refroidi quant à son utilisation, alors on finit à la barre. Enfin, Jérémy est à la barre la majorité du temps, et moi je suis à l’intérieur, je repère les différents phares et je vérifie systématiquement notre position. Quand il a besoin de faire pipi ou de fermer les yeux, je prends le relai. Je n’arrive pas à savoir si je fais bien de nous envoyer droit vers la côte sous ce vent plus fort que prévu, ou si l’on devrait continuer encore 50 miles vers la Corogne. C’est vrai que l’entrée de la Ria a l’air large et protégée, mais si je me trompais? Finalement c’est la mine éteinte de Jérémy qui tranche ; il faut qu’on arrête ça. Sans régulateur et vu notre niveau de fatigue, il est plus sage de s’arrêter maintenant. 


Pourtant notre traversée avait bien commencé. On est partis d’Audierne dans la pétole, on a vu le rayon vert et puis des dauphins nous ont suivi pendant toute la première nuit. ensuite le vent s’est levé, de l’ouest puis du Nord et on a trotté joyeusement à 6/7 noeuds avec un ris dans le génois. Et puis petit à petit une méchante fatigue s’est faite sentir ; clairement, 4h de quart de nuit comme de jour, ça ne fonctionne pas pour nous deux. Au bout de 36h j’ai commencé à trouver le temps long, dans l’inconfort de notre bateau miniature avec sa cambuse branlante et notre 1 m2 vivable à l’intérieur. Cette dernière nuit, je pense même à arrêter tout. Prendre un chien, une maison au sec et reposer mes vieux os avec Jérémy. En fait, ça n’a rien d’étonnant. A chaque fois, on râle sur nos conditions de vie et de navigation avec Jérémy, jusqu’à ce qu’on se retrouve au port ou au mouillage. Et là, quel bonheur, cette vie-là! Tous les deux, on appelle ça l’effet poisson rouge, et ça ne manque jamais quand les conditions durcissent. J’ai appris à accepter ça comme faisant parti du jeu.


Et cette nuit-là, ça ne manque pas. Je répète sans cesse à Jérémy «  Quand tu auras mis le phare dans ton 90, la houle se calmera » . Mais zut, ça ne se calme pas! Ou alors? « J’ai rêvé ou c’est plus calme? » Non je ne rêve pas! La houle est toujours là mais de moins en moins méchante, et tout à coup on est dans la ria, la mer est devenue un lac et le vent est tombé. La pleine lune se reflète calmement sur un eau qui n’est plus du tout hostile, désormais. On jubile. On devine à peine la côte, mais ça a l’air magnifique. Les collines roulent gentiment vers la mer, ça me rappelle la Nouvelle-Zélande.
On remonte une rivière jusqu’à la marina, et on se glisse dans la première place que l’on trouve, et tant pis si on a l’air ridicule sur ce ponton des bateaux de plus de 16m, on bougera quand on aura dormi.


Le bateau est tout humide à l’intérieur, et très vite on doit tout re-nettoyer, tout brosser, tout laver. Le linge sèche sur le pont, et Lilla a l’air toute rigolote dans sa tenue de nettoyage de printemps. On discute sur les pontons. Le plus dur est derrière nous, on nous assure. Alors ça me va. Je veux bien des conditions comme cette nuit-là, mais pas plus. J’ai un équipier à garder, et entier. Le soleil brille, nos frayeurs de la nuit sont oubliées et notre voyage commence enfin ; Viveiro est une ville très jolie et on peut enfin se reposer, sans stresser de laisser passer la saison du terrible golfe de Gascogne.