« Je vois l’ancre! Je vois l’ancre! » Il est 19h, le soleil s’est couché et, après 4 jours et demis de navigation, on vient de mouiller dans une petite baie près du port industriel, à l’entrée de la Marina d’Arrecife. Et en effet, avec ma lampe frontale, je vois l’ancre quelques 4 mètres plus bas. Premier émerveillement tout bête ; nous voilà dans les îles! Ca y est!
On nous avait prévenu : les Canaries de l’Est, c’est très touristique, et puis la côte Sud des îles, quelle horreur! … Nous, on voit surtout qu’on peut se balader en t-shirt, que Jérémy a l’occasion de découvrir sa première île volcanique et qu’il ne manque pas de s’émerveiller devant l’omniprésence de ces pierres et gravillons noirs… et surtout que l’eau est enfin turquoise! Bon, ce n’est pas la Polynésie mais on a enfin l’impression d’avoir sauté à pieds joints au milieu de notre rêve, ce rêve partagé depuis ce soir d’automne, où, sur un quai de Fécamp, j’avais timidement dit à Jérémy : « Tu sais, je vais avoir besoin d’un équipier jusqu’aux Canaries… Ca te dirait? » ... Il avait dit oui sans savoir qu’il s’embarquait dans non pas six mois mais un an et demi de chantier, mais surtout sans savoir qu’il ne serait plus jamais question pour lui de débarquer, ce genre d’aventure étant souvent un guet-apens où l’on finit par tomber amoureux de sa capitaine.
En fait d’ambiance sans âme, on est accueillis au ponton de la marina d’Arrecife par un belge des plus jovial qui nous invitera le soir même à prendre l’apéro en compagnie de sa femme sur son bateau. Quel accueil! Quelle générosité! Le lendemain, on emprunte leurs vélos pour faire un très gros approvisionnement pré-Atlantique (livraison gratuite oblige) et pendant ce temps, elle nous aura préparé un bouteille de la même soupe qu’on avait gouté la veille à bord et dans laquelle Jérémy était tombé avec délectation… Miam! En fait d’une nuit au ponton, on entame ce soir notre 3ème. Mais demain, c’est sûr, on part! La météo est vraiment parfaite pour nous rendre à l’île de la Palma, où nous avons décidé de passer quelques semaines avant d’aller au Cap Vert.
Tout le monde ne parle que de ça. A la radio, dans la rue, attention ; la vague de froid est là! A 10 degrés le matin et 18 l'après-midi dans les rues de Mohammedia (beaucoup plus froid à l'intérieur) et tout le monde s'est réfugié derrière de l'anorak de compétition, sauf nous qui sommes trop heureux de ne plus avoir de la buée qui sort de nos bouches le matin dans notre bateau. Alors on se ballade autant que possible. La matin on fait des améliorations et l'après-midi on se perd dans les rues. Pour sortir et entrer dans le port industriel, dans lequel se trouve la marina,
il faut montrer son passeport et un laisser-passer, et l'idée plait beaucoup à Jérémy. Tellement d'officialité. Dans les rues tout le monde est souriant, tout est joli ; je crois qu'on respire d'avoir enfin dépassé Gibraltar et que notre moral est au plus haut. On parle de nos projets l'un avec l'autre, on se ballade sur la plage, on va manger des tajines... L'Europe est derrière nous, et on s'en réjouit.
On est au Maroc! Et pourtant, ce n'était pas gagné... On est partis lundi avec un vent parfait, et pourtant on a du partir plein Est (au lieu de plein Sud) dès le coucher du soleil pour éviter de très gros orages, à tel point qu'on s'est retrouvés devant la baie de Cadiz avant de pouvoir enfin partir vers le Sud. Le lendemain, la houle se renforçait et j'étais brièvement malade en passant Gibraltar, bientôt rejointe par Jérémy qui lui a passé le reste de la traversée à vomir. Impossible pour lui de faire quoi que ce soit sinon dormir. Il passait ses quarts allongés dans le cockpit à ne savoir que relever la tête pour vérifier l'horizon ou remplir le seau. Il m'a tout de même aidée à nettoyer notre pré-filtre à eau quand le moteur a refusé de refroidir, mais pour le reste, il a fallu que j'apprenne à me débrouiller toute seule pour la plupart des manoeuvres -et à vrai dire ce n'est pas plus mal, car ça ne s'est pas si mal passé et il était temps que j'ose faire des virements ou passer de voile à moteur toute seule, car ça fait quelques temps que lui le fait quand je dors trop profondément.
Voir Jérémy virer au jaunâtre de jour en jour était vraiment dur pour le moral (sans parler d'à quel point ça a du être dur pour lui - et il ne s'est pas plaint une fois!), d'autant plus que j'ai lu une fois Gibraltar passé que la marina où nous allions était passée à 50e la nuit et qu'elle avait subit de gros dommages lors d'une tempête et ne serait peut-être pas ré-ouverte. Il y a bien un mouillage devant la marina mais il est assez exposé... Si on ne pouvait pas trouver de place dans le port, il faudrait reprendre la mer pour 24h de plus, avec un Jérémy de plus en plus fatigué...
Et finalement, tout s'est absolument bien passé. On a attendu le petit matin au mouillage devant la marina et puis on a trouvé une place facile à prendre sur un ponton assez bancal. Les autorités sont parties avec Jérémy faire les papiers, se sont un petit peu moqué de lui quant à son statut de simple équipier sur le bateau (c'était pas son jour, décidément!) et se sont montrées très polies avec moi lors de l'inspection du bateau. Finalement, on paie 30e la nuit, ce qui est très cher mais on en avait besoin - et de toute facon je crois bien qu'une fenêtre vers les Canaries sera bientôt ouverte!
Photos à venir (mais pas de Jérémy malade, nan mais oh)