Est-ce que je sais toujours régler des voiles ?
Est-ce que je vais réussir à utiliser mon mouillage ?
Et si le secret du régulateur d’allure me résiste ?
Et est-ce que j’ai vraiment envie de partir, ou bien est-ce que je n’ai juste pas d’autre plan en tête ?
Le problème d’un bateau qui ne navigue pas, ce n’est pas tant qu’il rouille ou qu’il se dégrade, c’est que je rouille et me dégrade. Ou plutôt, que j’en ai l’impression. Si on considère les choses en essayant d’être à peu près objectif, finalement, oui, on a réussi à préparer mon petit bateau et on devrait pouvoir partir en septembre. Tous les joujous des bateaux de grande traversée sont à bord (ou en cours de l’être), radeau, régu, guindeau et j’en passe, mais moi, est-ce que je suis équipée grande croisière ? Est-ce que ces deux ans à gratter de la strate, à poser des joints congés et du sika, à faire des vernis, à poncer, à meuler, est-ce qu’ils n’ont pas fait de moi une aventurière en pantoufle ?
Quatre jours et le bateau est dans l’eau. Un mois et on est partis. C’est inconcevable. Et par inconcevable, je veux vraiment dire que je ne peux pas le concevoir. Je crois que j’ai tellement pris l’habitude que tout foire avec Lilla, que mon petit cerveau se protège et refuse de croire à ce départ approchant ; malin stratagème afin d’éviter les retournements de situation vicieux qui pourraient me laisser abasourdie, chouinant et renifflant lamentablement sur le pont du bateau, vêtue d’un bleu de travail crado.
Il faut que je me réconcilie avec Lilla. Que j’arrête de la voir comme un maudit canasson qui n’a de cesse de vouloir me désarçonner. Oui, j’ai peur des saloperies que ce bateau peut me faire. Et j’ai décidé de ne plus avoir honte de l’assumer ; je ne prends désormais plus les leçons là-dessus que de ceux qui se sont déjà retrouvé avec leur hélice coincée dans leur safran avant d’entrer dans un DST, ou bien de ceux qui ont rattrapé un hauban en vol, ou qui ont découvert que leur coffre de cockpit se vidait dans leur cuisine.
Pendant deux ans je me suis maudite de ne pas arriver à maîtriser ce petit voilier de 28 pieds, cette vieille ado rebelle de 48 ans, et chaque chantier n’était pas assez bien fait, pas assez vite. Que les voisins de pontons soient durs avec moi, et moqueurs, était une chose, mais j’ai fini par me convaincre moi-même que je n’étais qu’une idiote indigne de la possession d’un bateau. Que j’allais faire de ce chantier un pot de pus incapable de naviguer. Mais j’ai persévéré. Pas forcément par force, ou par conviction, peut-être plus par entêtement, par obligation, et parce que je n’aurais jamais trouvé preneur pour un vieux voilier battant pavillon suédois à moitié rénové. L’important est là : Lilla est quasimment prête. Si je l’ai transformée, je crois qu’elle m’a transformée aussi. Je l’ai achetée avec des rêves plein les yeux, des oreilles grand ouvertes aux conseils et remarques, et j’ai appris que tous les conseils ne sont pas fait pour être écoutés, ou bénéficier à celui qui les reçoit, et que parfois, rien ne vaut mieux que de se gourer un bon coup pour repartir d’un bon pied. Aujourd’hui, je sais que personne ne connaît mieux Lilla que moi – à part peut-être Jérémy, qui n’est pas très loin. Mais on a encore tellement à découvrir.
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