"Terre!!"
« Oh, regarde là! Un requin!!! J’ai vu son aileron! ». Jérémy, à la barre pour l’entrée de la rivière du Mahury, est fasciné. Le soleil est de plomb, mais nous sommes heureux de le voir enfin. Autour de nous, l’eau est brune et parsemée de petites iles d’un vert profond. Je scrute l’eau boueuse, à la recherche de l’animal peu commun dans un estuaire. « Là! Ils sont deux! » Deux ailerons viennent d’apparaitre au ras de l’eau, et je reconnais des dauphins d’eau douce - des Sotalies de l’Amazone, comme nous l’apprendra plus tard le bouquin sur les mammifères marins que nous avons embarqué. Jérémy est hilare de son erreur, et je ris de bon coeur avec lui. Nos cernes font des grosses poches sous nos yeux qu’on plisse pour se prémunir du soleil, nous donnant l’air de faire une perpétuelle grimace, mais on est tellement heureux ; ça faisait bien longtemps qu’on avait pas rit aussi franchement tous les deux ensemble.
Poisson volant échoué sur le pont et pas secouru à temps
Le bateau, y'a plus écolo
Il faut dire que la traversée n’a pas été très drôle ; la mer qu’on nous avait décrite comme remuée d’une longue houle océanique de 6 à 8m (8 à 10 pour ceux de nos interlocuteurs les plus prônes aux envolées lyriques) n’était jamais plus haute que 2,5m, peut-être 3, mais la houle était incroyablement hachée et on a passé la traversée à se cogner à bâbord, puis à tribord. A 2 dans quelques mètres cubes, on a vite commencé à se marcher dessus et il n’en a pas fallu plus qu’une lumière de mat qui nous lâche pour que les premières disputes éclatent. Non, non, non, pas question, je ne t’enverrai pas en haut du mat en pleine mer, Jérémy, n’y pense même pas! Plutôt faire des quarts de nuit en vigilance constante et allumer notre lumière de moteur qui consomme beaucoup à l’approche d’une lumière. J’ai gagné la dispute ; on y a perdu pas mal de tranquillité d’esprit.
Arrivés dans le courant de Guyane, le vent nous a lâché, et le soleil aussi. Pour ne rien arranger, la pompe de cale s’est bloquée en marche forcée et le temps que je m’en rende compte, elle avait vidé les batteries. Le diesel avait également pris l’eau, il a fallu purger tout ça et nettoyer les filtres. Ce n’est que 36h après notre arrivée dans le courant, et avec chance devant l’entrée du Mahury, la rivière ou nous sommes, que nous avons enfin eu assez de rayons de soleil sur les panneaux pour démarrer le moteur. J’en aurais pleuré… et voilà, en route vers le mouillage, comme si ces 3 dernières semaines n’étaient qu’une courte page tournée, moi qui ai passé la deuxième semaine à me désespérer d’arriver un jour.
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